Printemps sans pesticides réservoir d’idées pour la commune d’Arlon
Serge Raucq | Publié le |
1. Introduction de synthèse
Le programme « printemps sans pesticides » représente une opportunité majeure pour faire le point sur l’utilisation des pesticides dans notre commune, dégager les opportunités d’amélioration.
Les chiffres analysés révèlent qu’environ 3085 kg de substances actives sont répandus chaque année sur le territoire de la Commune (hors chemins de fer). L’usage professionnel et privé représentent 79,4% (2448 kg) et 20,6% (637 kg) de cette quantité, respectivement. Concernant l’usage professionnel, on remarque cependant que la quantité de substances actives par hectare est relativement basse et largement inférieure à la moyenne belge : c’est une conséquence évidente des spécificités agricoles locales. En conséquence, nous concluons qu’agir au niveau de l’usage privé des pesticides permettra de dégager plus rapidement des améliorations significatives.
Pour terminer, nous proposons une série de mesures qui visent soit à diminuer la quantité de substances actives répandues, soit à compenser autant que faire se peut les dégâts occasionnés par leur utilisation. Il se peut que certaines de mesures soient déjà en cours de réflexion ou d’exécution : nous ne prétendons pas connaître toutes les initiatives dans le domaine.
2. La problématique
Les pesticides se définissent comme les substances d’origine naturelle ou synthétique dont l’action vise à éliminer des menaces sanitaires de diverses provenances : insectes (insecticides), champignons (fongicides), végétaux (herbicides), etc. Ils font partie d’une classe générale de produits appelés « produits phytopharmaceutiques » ou « PPP ».
Différents secteurs les utilisent, notamment l’agriculture, le transport (SNCB), les administrations communales, les particuliers, etc.
L’impact des pesticides peut être primaire (la destruction de la cible), ou secondaire (destruction d’autres espèces non ciblées, destruction de populations éloignées suite à son transport par l’eau ou le vent, imprégnation du sol à plus ou moins longue échéance, etc.).
La directive 91/414/CEE du 15 juillet 1991 définit les substances actives d’un produit phytopharmaceutique : les substances ou micro-organismes, y compris les virus exerçant une action générale ou spécifique :
- sur les organismes nuisibles ou
- sur les végétaux, parties de végétaux ou produits végétaux.
Les substances actives sont les éléments chimiques et leurs composés tels qu’ils se présentent à l’état naturel ou tels que produits par l’industrie, incluant toute impureté résultant inévitablement du procédé de fabrication.
En Wallonie, en 2014, la quantité de PPP vendue par ha de surface agricole utile (SAU) était de 5,6 kg (5,0 kg pour la Belgique). Cette quantité est largement supérieure à la moyenne UE-28 qui se situait la même année à 2,3 kg/ha de SAU [1]).
3. La commune d’Arlon et les produits phytopharmaceutiques : état des lieux
La surface agricole utile de la commune d’Arlon représente 3620 ha, soit 31 % du territoire. Cette surface est utilisée essentiellement par les prairies permanentes (58,7 % de la SAU de la commune [2][3]).Cette utilisation s’explique par l’importance de la filière bovine (viande et lait) dans la province de Luxembourg.
La répartition des cultures sur la SAU est proposée dans le tableau 1 (page 3), de façon à évaluer la consommation moyenne en substances actives pour les surfaces concernées ([4], tableau 16 page 92 – données récoltées en 2015).
Rapportés à la SAU, nous obtenons un résultat global de 0,6 kg de substances actives par hectare. Or, au cours de l’année 2015, 6403 tonnes de substances actives ont été vendues sur le marché belge professionnel (dont la SAU est évaluée à 1 330 000 ha), ce qui représente une moyenne d’utilisation de 4,8 kg/ha.
Il convient de noter que ces chiffres ne tiennent pas compte de l’agriculture biologique. Pour nuancer ce propos, 87 % des surfaces bio sur le territoire belge sont occupées par des prairies permanentes ou temporaires[4], qui sont très peu consommatrices en substances actives.
Au départ des 6648 tonnes de substances actives vendues en 2015 en Belgique, 6403 tonnes, soit 96,31 % des ventes totales ont été achetées par des utilisateurs professionnels. Les 245 tonnes de substances actives restantes, soit 3,69 % des ventes totales l’ont été par des utilisateurs non professionnels. Pour estimer la quantité vendue sur la commune d’Arlon, nous avons réalisé une règle de trois, en nous basant sur le nombre d’habitants au 01/01/2016 (soit 11 267 910 en Belgique et 29 274 à Arlon). Nous obtenons 637 kg. Note : cette quantité est probablement sous-estimée en raison de la proportion importante de maisons 2 à 4 façades avec jardin.
Nous ne disposons pas de chiffre précis par rapport aux pulvérisations d’Infrabel sur le territoire de la commune. Notons qu’Infrabel, en 2014, a pulvérisé 19 tonnes de substances actives sur son réseau (3602 km).

4. Analyse des enjeux
Diminution des populations d’insectes
Les premières victimes des substances actives sont évidemment les insectes. Les populations d’insectes sont soumises à des pressions considérables. Il n’est pas aisé de déterminer la diminution de l’entomofaune ces dernières années. Les chiffres annoncés pour la Belgique se situent entre 30 et 45 %. L’entomofaune joue un rôle fondamental dans notre environnement. Notons par exemple :
La pollinisation des plantes à fleurs (jusqu’à 80 % des espèces végétales dépendent de la pollinisation pour leur reproduction).
La désagrégation des litières forestières par les décomposeurs et phytophages, fondamentaux dans la régénération des sols.
- Leur place dans la chaîne alimentaire : ils sont consommés par de nombreuses espèces d’oiseaux, de mammifères, des amphibiens, des reptiles, etc. Ils jouent donc un rôle essentiel dans la biodiversité.
Pression sur les amphibiens
Les amphibiens se caractérisent notamment par la respiration cutanée. Cette capacité rend leur corps perméable à la contamination par les substances actives. La diminution sensible des populations d’amphibiens y trouve l’un de ses facteurs (la circulation routière en est un autre).
Qualité de l’eau (masses souterraines)
Le type de sol de la région de Haute-Lorraine est riche en sables. La perméabilité de ces sols favorise la percolation des eaux météoriques vers les aquifères. La pluviométrie accentue ce phénomène, particulièrement intense en Haute-Lorraine. Ces phénomènes additionnés ont mené la Région wallonne à qualifier les deux principaux aquifères de la commune de « vulnérables » [5][6] et [7].
Qualité de l’eau (masses d’eau de surface)
La topographie de la commune d’Arlon, et de la Haute-Lorraine en général force un ruissellement de l’eau vers l’extérieur. Les dépôts de substances actives provoquent dont des augmentations de concentration en aval.
Dégradation des services écosystémiques
Les impacts mentionnés ci-dessus peuvent se résumer en : dégradation générale des services écosystémiques. En effet, l’utilisation de substances actives détruisent des populations qui de façon directe ou indirecte permettent entre autres d’assurer :
la production de ressources essentielles (nourriture, bois de chauffage, miel)
la décomposition des détritus biologiques, et donc de faire vivre les sols
la filtration et l’épuration de l’eau
le bien-être des citoyens qui fréquentent les espaces naturels, et l’attractivité touristique de la région •…
5. Propositions d’actions
Les actions peuvent s’envisagent sur deux plans : le premier vise à diminuer l’utilisation des substances actives sur le territoire communal, le second à compenser les conséquences délétères de l’utilisation des substances actives.
Diminution de l’utilisation des substances actives
Nous l’avons vu, les particuliers, écoulent 637 kg de substances actives (soir 20,6 % du total répandu, hors chemin de fer). Ils sont donc très concernés. Les mesures à prendre peuvent revêtir les formes suivantes :
Mesure D1 : Sensibilisation du grand public au travers d’articles dans la revue communale, qui proposent des liens vers des pages web sur lesquelles des alternatives sont explicitées (par exemple répulsifs naturels pour les ravageurs, herbicides naturels, consommation de pommes de terre bio …). Le site web qui publie ces pages est de préférence celui de la commune. Si ce n’est pas possible, le site de l’ObsE peut évidemment convenir.
Mesure D2 : Identifier des personnes-ressources (par exemple des guides-nature) pour sensibiliser les citoyens sur le terrain, lors de balades thématiques. Utiliser les médias habituels et la maison du tourisme pour en faire la promotion.
Mesure D3 : Sensibiliser les élèves des écoles à l’importance de la biodiversité et du respect du vivant. C’est en se faisant que nous assurons la pérennité des efforts sur le long terme. Une façon très concrète d’y arriver est de remplacer systématiquement les pommes de terre conventionnelles par des pommes de terre bio locales. En effet, la pomme de terre est le végétal qui demande la plus grande quantité de substances actives. Rien que sur notre commune, la pomme de terre exige 320 kg de substances actives (soit 12,5% du total répandu – voir tableau 1). Par le biais d’une telle mesure, les parents seront également sensibilisés et l’on peut espérer qu’un certain nombre de ménages opèreront ce simple changement d’habitude.
De façon plus directe, toute mesure visant à favoriser l’agriculture biologique diminue d’autant l’usage des substances actives. Si de plus les circuits courts sont mis en valeur, c’est un cercle vertueux qui se met en place.
Mesure D4 : Encourager les producteurs bio locaux (c.-à-d. originaires de la commune ou des communes proches) en achetant leur production pour fournir les cantines collectives. Cette mesure est par ailleurs inscrite dans la politique générale de la Ville d’Arlon.
Mesure D5 : Encourager la consommation de produits bio locaux. Une façon efficace de procéder est de faciliter l’accès à ces produits. Par exemple, un espace « bio local » pourrait être établi dans le cadre du marché de jeudi, avec des emplacements à coût réduit.
Mesure D6 : Créer des labels « citoyen sans pesticide », « commerçant sans pesticide » et « artisan sans pesticide », agrémentés d’une charte engageante. Cette approche crée une valeur ajoutée à la démarche de non-utilisation des pesticides.
Mesure D7 : Vérification de la non distribution de certains pesticides en libre-service dans les surfaces commerciales de la commune et sanction par la commune le cas échéant. Cette mesure repose sur l’hypothèse, à vérifier, qu’il est possible d’interdire la vente de certaines substances actives à l’échelle communale.
Mesure D8 : Organiser, sur le territoire de la commune, une vaste collecte de pesticides (usagés ou non, périmés ou non), et en confier les résultats à IDELUX.
Compensation à l’utilisation des substances actives
Nous avons vu que l’utilisation des substances actives représente un danger pour certaines populations de la flore ou de la faune déjà fragilisées. L’établissement de zones protégées permettrait de conserver ces espèces et leur habitat, loin de toute émission de substances actives.
Mesure C1 : Établir des réserves naturelles sur le territoire de la commune (ou sur les terrains appartenant à la commune), qui s’étendent éventuellement sur le territoire d’autres communes avancées dans la diminution de l’utilisation des substances actives (par exemple la commune d’Attert). Il convient de réfléchir à leur emplacement et à leur caractère (intégrale ou guidée).
Mesure C2 : Identifier des terrains communaux ou qui sont sous gestion de la commune, qui pourraient accueillir des plantations de vergers gérés en culture biologique. En aménageant un minimum ces plantations, il est possible d’accueillir un grand nombre d’espèces menacées (notamment les abeilles sauvages – on pense à des hôtels à insectes ou encore l’aménagement de zones fermées destinées aux terricoles), tout en produisant des fruits locaux et bio. Les arbres fruitiers peuvent être « parrainés » par des particuliers ou des établissements scolaires, renforçant de la sorte les mesures D3 et D5.
Mesure C3 : Encourager, au moyen de conseils, de subsides et de monitoring (existant au niveau régional) la plantation de haies en bordure des prairies permanentes et des champs cultivés, en privilégiant les espèces locales mellifères. Cette mesure permet en plus de protéger la biodiversité de la région, en particulier d’établir des couloirs de communication entre populations, et donc la diversité génétique.
Mesure C4 : Nous avons vu que les amphibiens payent un lourd tribut à l’utilisation des substances actives : respiration cutanée et rupture de chaîne alimentaire. Notre commune est déjà relativement riche en zones humides (1,5 % de la surface de la commune contre une moyenne de 0,3 % pour la Wallonie, en 2018). Une réserve naturelle existante présente ce type d’habitat. En complément, il serait utile d’établir des mares permanentes en divers endroits, à des distances telles que les populations puissent établir des connexions.
6. Bibliographie
[1] A. Bellayachi, C. Cuvelier, J. Dejemeppe, C. Généreux, et E. Maes, « Rapport sur l’état de l’environnement wallon 2017 (REEW 2017) », SPW – DGO3 – DEMNA – DEE, Jambes, 2017.
[2] B. Quévy, « L’agriculture Wallonne en chiffres – 2018 ». SPW éditions.
[3] « Statbel – Exploitations agricoles et horticoles (2017) », 04-mars-2018. [En ligne]. Disponible sur : https://statbel.fgov.be/fr/themes/agriculture-peche/exploitations-agricoles-et-horticoles#figures.
[4] A. CORDER, « Estimation quantitative des utilisations de produits phytopharmaceutiques par les différents secteurs d’activité », 2017.
[5] RWM091, « Fiche de caractérisation de la masse d’eau RWM091, Conglomérats du Rhétien (Trias supérieur) ». Direction générale – Agriculture, Ressources naturelles & Environnement, 2016.
[6] RWM092, « Fiche de caractérisation de la masse d’eau RWM092, Lias inférieur – Sinémurien (District de la Meuse) ». Direction générale – Agriculture, Ressources naturelles & Environnement, 2016.
[7] RWR092, « Fiche de caractérisation de la masse d’eau RWR092, Grès du Luxembourg – Sinémurien (District du Rhin) ». Direction générale – Agriculture, Ressources naturelles & Environnement, 2016.
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