Focus sur les forêts anciennes subnaturelles

Les forêts anciennes subnaturelles sont des forêts feuillues qui se sont maintenues sans interruption depuis le XVIIIème siècle (déjà visible sur les cartes de Ferraris[1]). Elles ne doivent pas avoir subi de défrichement pour être converties en terres agricoles, ni avoir été enrésinées. Le DEMNA a réalisé leur identification pour la Région Wallonne.

Le terme de « forêts anciennes » a été créé en 1980 pour distinguer les forêts anciennes secondaires des vraies forêts primaires qui sont des forêts peu ou pas perturbées par l’activité anthropique. Ce type de forêts a quasi disparu d’Europe (moins de 4%). La plus connue est la forêt primaire de Bialowieza en Pologne.

Certaines forêts anciennes sont parfois proche de l’état primaire. Elles sont alors appelées « vieilles forêts ». Ces forêts, qui ne font plus l’objet d’intervention humaine depuis plusieurs dizaines à centaines d’années, se caractérisent par 4 facteurs :

  • l’ancienneté de l’état boisé : comme toutes les forêts anciennes, elles doivent avoir subsisté sans interruption depuis le XVIIIème siècle.
  • l’avancement dans la dynamique de l’écosystème : elles sont dominées par les essences des stades terminaux de la succession écologique, les dryades naturelles, longévives et tolérant l’ombre (Hêtre, Sapin, Épicéa…).
  • la maturité du peuplement : elles ont au moins atteint la phase de vieillissement du cycle sylvigénétique et, dans les sites les plus matures, elles sont constituées d’une mosaïque de peuplements représentant les cinq phases de la sylvigenèse.
  • l’impact humain : l’empreinte humaine y est globalement réduite, limitée tout au plus à la présence d’anciennes traces d’exploitation (souches fortement décomposées, anciennes lignes de câblage, couloirs de lançage, traces de charbonnage ou vestiges de pratiques pastorales…).

[1] La carte de Ferraris ou carte des pays-bas autrichiens est une carte historique établie entre 1770 et 1774 par le comte Joseph de Ferraris, directeur de l’école de mathématique du corps d’artillerie des Pays-Bas, sur commande du gouverneur Charles-Alexandre de Lorraine.  Il s’agit de la première cartographie systématique et à grande échelle de la Belgique.

Le XVIIIème siècle comme période de référence…

Vers la fin du XVIIIème siècle, la couverture forestière a atteint sa superficie historiquement la plus basse en Europe : autour des 10-15% de la superficie du continent. Seule une partie des forêts subsistait suite à la surexploitation durant le Moyen-Age pour fournir du bois d’œuvre et de l’énergie.

Avant l’utilisation généralisée des énergies fossiles, le bois était la source d’énergie : les taillis et taillis sous futaie ont été favorisés pour l’élaboration du charbon de bois, ainsi que les essences qui rejetaient facilement (chêne, charme, érable et noisetier). Quelques massifs ont été préservés, du fait soit qu’ils étaient inaccessibles, soit qu’ils constituaient de grands domaines de chasse.

Le développement des usines et l’exode rural, l’utilisation du charbon « de terre » (combustible fossile) au lieu du charbon de bois, ainsi que la création des codes forestiers (1854 en Belgique) ont permis de faire diminuer les pressions exercées jusque-là sur la forêt.

De grands projets de reboisements se sont alors mis en place, avec la plantation principalement de résineux, aidés financièrement par l’Etat ou imposés via plusieurs dispositions légales (ex : loi du 25 mars 1847 sur la mise en valeur des incultes appartenant aux communes belges). C’est donc dès le XIXème et jusqu’au XXème siècle que la plantation massive de résineux a eu lieu, majoritairement sur les anciens parcours pastoraux et les forêts surexploitées. Ce sont principalement le pin sylvestre (Pinus sylvestris) sur les landes sèches acides, introduit vers le 17ème siècle en Campine, le pin noir et d’Autriche sur les terrains calcaires, puis l’épicéa introduit vers 1850, plantés dans les milieux plus humides (ou drainés si besoin) et acides.

Ce passage du minimum forestier vers un redéploiement de la surface arborée est appelé la « transition forestière », principalement constituée de plantations artificielles. C’est de cette époque que datent les vastes paysages de forêts équiennes et monospécifiques constituées d’épicéa en Ardenne.

Alors que la superficie boisée en Wallonie a augmenté de 27% par rapport à celle du XVIIIème siècle, passant de 431 000 à 546 000 hectares, sa composition s’est très fortement modifiée. Seuls 44% (soit 181 000 ha) des forêts de l’époque restent actuellement occupés par la forêt feuillue d’origine ! Et cette érosion continue inexorablement, les forêts anciennes n’ayant aucun statut de protection particulier. A ce jour, seul 33% de la forêt wallonne (soit 181 000 ha) sont des forêts anciennes subnaturelles.

Des forêts riches en biodiversité

La préservation des forêts anciennes est un énorme enjeu de biodiversité pour la Wallonie[1]. Elle fait partie des 74 résolutions des Assises de la Forêt établies en 2024 et est inscrite à la Stratégie Biodiversité 360° de la Région Wallonne.

L’ancienneté d’une forêt est un des éléments qui caractérise sa naturalité. Les forêts anciennes ont la particularité d’abriter une guilde d’espèces qui présentent de faibles capacités de dispersion et sont peu compétitives par rapport aux plantes des milieux ouverts. Ces espèces sont très sensibles aux perturbations infligées aux sols forestiers.

On y observe généralement la présence étendue d’une flore caractéristique, avec la présence principalement d’espèces géophytes et hémicryptophytes typiques : soit des espèces à rhizomes (tige souterraine vivace), comme le blechnum en épi (Blechnum spicans), la parisette à quatre feuilles (Paris quadrifolia) ou le muguet (Convallaria majalis), soit des plantes à bulbes telles que l’ail des ours (Allium ursinum), la jacinthe des bois (Hyacinthoides non-scripta), la gagée ou la jonquille.

Dans les forêts récentes, on pourra trouver des arbustes héliophiles, reliques des stades secondaires de la recolonisation forestière, comme le sureau noir (Sambucus nigra) ou le prunellier (Prunus spinosa), ou des espèces rudérales telles que l’ortie dioïque (Urtica dioica), qui profitent de l’eutrophisation des sols.

La sensibilité de la flore typique qu’on retrouve au sein des forêts anciennes s’explique par certaines particularités de leur écologie, qui impliquent une capacité de (re)colonisation très lente. C’est par exemple le fait de ne pas produire de banque de graines persistante, ou lié à des stratégies de dispersion des graines sur très courtes distance, comme la barochorie (lié à la gravité, les graines tombent simplement sur le sol à proximité de la plante-mère), la myrmécochorie (déplacement des graines par les fourmis), ou la reproduction clonale à partir de rhizomes et qui s’étendent de proche en proche (comme le muguet).

D’autres groupes d’espèces sont aussi sensibles à l’interruption de la continuité temporelle de la couverture forestière : des lichens, champignons, charançons, coléoptères, syrphes, etc.

Cependant, ces espèces ne sont pas forcément absentes des forêts récentes, en fonction de la proximité (ou non) de populations sources qui peuvent petit à petit recoloniser ces nouvelles forêts, si les conditions physico-chimiques le permettent également.

Statistiquement, la richesse et l’abondance plus élevées de ces espèces sont corrélées à l’ancienneté des forêts. Leur présence et leur abondance, de par leur sensibilité à l’interruption de la continuité de la couverture boisée, peuvent ainsi servir d’indicateur de forêts anciennes.

[1] A noter que d’autres forêts plus jeunes présentent également un intérêt biologique remarquable, telles que les forêts alluviales (dont il n’existe plus d’exemplaire ancien) ou les boulaies tourbeuses.

Une résilience accrue aux changements climatiques

L’ancienneté d’une forêt lui procure une résilience accrue face aux changements climatiques.

Cette particularité résulte notamment des quatre caractéristiques suivantes :

  • Les forêts anciennes comportent en moyenne un nombre significativement accru d’essences forestières par unité de surface, comparativement aux boisements récents. Dès lors, si une des essences forestières y dépérit temporairement, les autres sont là pour maintenir l’ambiance forestière (ombrage, humidité du sol et de l’air) jusqu’au rétablissement d’une canopée continue.
  • L’enracinement des arbres en forêt ancienne résulte d’explorations racinaires du sous-sol durant plusieurs siècles, même dans d’anciens taillis. Beaucoup plus profond qu’en boisement récent, il permet aux arbres d’accéder à davantage de ressources phréatiques et expose moins les radicelles aux épisodes de sécheresse.
  • Le sous-sol des forêts anciennes présente une macroporosité accrue, en raison de cette activité racinaire profonde pluriséculaire. Il en découle une meilleure capacité de stockage de l’eau dans le sous-sol.
  • Le sol des forêts anciennes présente une abondance plus élevée de champignons mycorhiziens10. Ces liens symbiotiques renforcés améliorent l’approvisionnement des plantes en nutriments tels que l’eau, le phosphore, le soufre, l’azote et les micronutriments du sol. Il en résulte une plus grande résilience face aux changements environnementaux.

Préservation des sols

La continuité temporelle de la couverture forestière implique une caractéristique très importante des forêts anciennes qui est la préservation de la structure et de la qualité de ses sols.

Leurs sols n’ont généralement pas ou peu été altérés : ils n’ont pas subi de labour profond, ni été fertilisés ou amendés, ou subis de modifications physico-chimiques à cause de l’accumulation d’aiguilles de résineux.

Un sol défriché pour des activités agricoles aura une structure et une composition chimique différentes. En forêt ancienne, le sol présentera beaucoup de matière organique, alors qu’un sol qui a été cultivé à un moment donné sera plus pauvre en carbone et plus riche en phosphore. Par exemple, même après deux millénaires, les concentrations en phosphore restent toujours plus élevées dans les sols de forêts qui ont recolonisé d’anciens champs cultivés à l’époque romaine !

L’enrésinement des forêts feuillues effectué en masse dès le XIXème siècle a des conséquences importantes : le manque de lumière au sol, les travaux préparatoires (dont le drainage et depuis plus récemment le gyrobroyage) ainsi que l’accumulation des aiguilles dans la litière affectent profondément la faune et la flore (dont les géophytes).

Les conséquences de l’interruption de la couverture forestière sur la biodiversité et le sol peuvent donc persister très longtemps (durant des centaines voire quelques milliers d’années) après le retour de l’état forestier. Dès lors, le déboisement d’une forêt feuillue ancienne constitue une perte irréversible, et donc non compensable.

Des forêts à protéger d’urgence

En Wallonie, bien que ce ne soit pas explicitement mentionné tel quel par le Code Forestier (2008), les Plans d’Aménagements Forestiers (PAF) des forêts publiques identifient systématiquement les forêts anciennes présentes sur la zone concernée. De même, les certifications PEFC et FSC demandent que les forêts anciennes soient identifiées dans le plan de gestion.

Il est urgent d’octroyer aux forêts anciennes un statut de protection qui favoriserait une gestion sylvicole qui ne les dénature pas car elles font partie de notre patrimoine commun.

Parmi les mesures à mettre en place, on protégera autant que possible l’intégrité des sols et de la flore forestière lors des travaux forestiers, en mettant en place un réseau de cloisonnements, en interdisant le gyrobroyage et le dessouchage, et en favorisant la régénération naturelle. Il est également important de privilégier les essences indigènes et de ne pas introduire d’essences exotiques (qui n’appartiennent pas naturellement à la flore de Wallonie).

La sylviculture Pro Sylva, aussi appelée Sylviculture Mélangée à Couvert Continu, est particulièrement adaptée à la gestion des forêts anciennes subnaturelles.

Les bonnes pratiques sylvicoles …

  • Identifier les forêts anciennes et habitats communautaires au sein de votre forêt ;
  • Encourager les peuplements pluristratifiés ;
  • Mélanger les essences et privilégier les essences locales ;
  • Privilégier la régénération naturelle ;
  • Ne pas surexploiter, ne pas récolter plus que l’accroissement biologique annuel ;
  • Garantir l’activité biologique du sol en limitant les tassements et les pollutions chimiques ;
  • Laisser les rémanents sur place et ne pas les mettre en andains (car cela décape le sol, déplace le stock de graine et les engins tassent le sol) ;
  • Planifier les travaux entre le 1er août et le 1er mars pour préserver les sites de reproduction des oiseaux et des mammifères ;
  • Limiter l’impact sur le sol et la végétation en utilisant un mode de débardage adapté ;
  • Limiter, au strict nécessaire, la création de voies forestières ;
  • Limiter l’extension des plantes envahissantes : pour prévenir, on préconise le maintien d’une couverture boisée continue et permanent ;
  • Trouver un équilibre entre flore et ongulés: favoriser la régénération naturelle d’essence indigène en station qui sont moins appetentes que les plants de pépinière ; maintenir les houppiers non démembrés ; maintenir la partie feuillée des chablis ; ne pas enlever systématiquement les lierres ;
  • Maintenir bois mort sur pied et couché ;
  • Mettre en place des îlots de vieillissement : petits peuplements où l’exploitation se fait au-delà de l’âge d’exploitation optimal, le but est une production de gros bois de qualité.[1];
  • Mettre en place des îlots de conservation : petit peuplements en libre évolution[2];
  • Gérer les lisières existantes (lisière externe du massif forestier et bords de piste), créer plus de lisière est préjudiciable aux espèces faunistiques purement forestières ;
  • Préserver les zones humides en forêt ;
  • Maintenir les forêts alluviales : en favorisant les semenciers d’essence minoritaire (frêne, aulne, …) et en évitant les coupes rases, préférer la régénération par petites trouées ou encore le taillis simple ou fureté qui est approprié pour le saule blanc ou peuplier noir
  • Idéalement, classer les forêts anciennes subnaturelles en réserve forestière intégrale (RFI).

[1] Les îlots de vieillissement doivent se faire avec des essences dont la qualité se détériore moins avec le temps comme le chêne. Pour le hêtre, avec l’apparition du cœur rouge chez individus âgés, il n’y a pas d’intérêt économique de les maintenir au-delà de l’âge d’exploitation. Habituellement on exploite les îlots de vieillissement 20 ans après l’âge d’exploitation théorique. L’Îlot de vieillissement ne menace pas le peuplements alentours mais est plus sensible au vent (cela ne devrait pas être un problème pour le chêne grâce à sa racine pivot)

[2] L’îlot de conservation présente un risque lié aux parasites sur le bois mort notamment pour les résineux. Privilégier des mélanges d’essence est une solution.

Pour aller plus loin :

Texte librement inspiré de l’article d’Anne-Laure Geboes pour Canopea, disponible à l’adresse :
https://www.canopea.be/vers-une-protection-des-forets-anciennes-en-wallonie/